Au vu des différents titres de l’album, qu’est-ce qui vous a poussé ou donné envie de récidiver l’expérience de Kan tri, c’est l’envie d’un hommage à Youenn Gwernig (pistes 1 et 2) ? ou le bonheur de se retrouver entre copains et de partager ce moment avec le public ?
La chanson « identity » est venue dans un deuxième temps. Alors que le premier album était en partie repris de répertoires préexistants, nous avons voulu réaliser un deuxième album qui soit proche de nous, conçu pour ce que nous avons appris de nous trois au cours des dernières années. Le but est atteint, puisque maintenant, nous avons en scène un répertoire original, qui ne fait pas du tout doublon avec nos récitals personnels. Le Trio est donc devenu une entité propre. Mais il est vrai que Youenn Gwernig est une de nos références communes, puisque Patrick et Gérard l'ont accompagné quand il a commencé à chanter ses chansons en scène à son retour des USA. Quant à Melaine, il l'a croisé dans son enfance, quand Youenn débarquait chez ses parents avec d'autres artistes bretons.
Youenn Gwernig reste pour nous un chanteur breton emblématique de la Beat Génération. À la différence de Jack Kerouac qui cherchait ses racines dans la poésie, Youenn est revenu assez vite sur sa terre de Bretagne et a continué a être ce vagabond errant cette fois dans ses songes. Il faut dire que l’arrangement qu’en a fait Gérard, nous a tout de suite séduit. Grâce à cet arrangement, ce poème chanté est devenu une vraie chanson, sans pour autant perdre son mystère. Pour nous c’est un plaisir de poser nos trois voix ensemble dans ces mots-là. D’ailleurs, on le sent bien, le public frissonne et applaudit très fort. Mais il est vrai que « identity », outre le fait que c'est un poème magnifique, avec juste ce qu'il faut de mystère, c'est aussi une chanson en anglais, et que nous tenons à la triple identité de notre répertoire.
Beaucoup de titres sont nostalgiques du passé ; référence à des bals folk ou à l’ambiance des années 70 ; comment vous situez-vous dans le panorama breton et musical actuel, à l’heure de l’électronique et des mariages (qui finiront en divorce heureusement mais pas tous heureusement aussi) entre les rythmes de la musique bretonne et toute autre tendance musicale ?
la musique bretonne est une musique vivante et il n’y pas de raison qu’elle ne vive pas à fond. Est- ce qu’on imaginerait la musique française cantonnée à l’accordéon musette ou le texte s’interdisant de flirter avec le rap. Il n’y aurait plus de musique française. Pour la musique bretonne, c’est pareil. Ce qui est bon restera. Le reste s’éliminera tout seul. Donc il n’y a pas de malaise. Nous avons l'impression de continuer à faire ce que nous savons faire en l'approfondissant, en l'appliquant à cette formule magique qu'est notre Trio : de la chanson folk ! Une mélodie simple et forte, qui raconte une histoire, voix, guitare, c'est la base, et autour quelques couleurs. Johnny Cash ou Bruce Springsteen viennent aussi de là.
En ce qui nous concerne, la musique folk des années soixante-dix, pour nous n’est pas nostalgique. C’est notre manière sincère de dire des choses aujourd’hui. Il n'y a pas un seul instant où nous disons : « c'était mieux avant ». Nous parlons seulement dans deux titres ( « les belles années 70 » et « sur le port de Concarneau ») de notre jeunesse avec tendresse, mais sans le moindre regret. La chanson « sous l'hangar » est totalement actuelle à nos yeux. Je crois qu'on détourne encore des lieux de nos jours pour faire la fête et ce n'est pas près de s'arrêter !
Les textes des chansons parlent du petit monde breizho-bretonnant (Logonna, les monts d’Arrée, la prison de Ponta,…) sur le mode humoristique et fier, est-ce parce que le grand monde (la mondialisation, l’internationalisation et ses homologues américanophones) vous dégoûte ? (A Lampedusa, Pollution Solution, A la guerre ; des chansons plus sérieuses et émouvantes)
Bien sûr que tout ça nous dégoûte. À notre échelle, nous n’avons que les chansons pour le dire avec délicatesse ou humour. Au fond de nous, il y a de la rage et nous savons que beaucoup des gens du public viennent la partager avec nous le temps d’un concert. Un soir, une personne m’a dit : « vous (les trois) m’avez vidé la tête et rempli le cœur ». C’est vraiment un beau compliment quand on voit que « beaucoup trop d’artistes nous prennent la tête et nous laissent le cœur froid ». Notre façon à nous de dénoncer c’est d’être positif et joyeux alors que notre conscience nous porterait à devenir cynique. L'identité est un moyen d'être enraciné pour dialoguer avec le monde, et non pour s'en séparer. Pessoa a dit : « l'universel c'est le local moins les murs » : c'est la définition de l'ouverture enracinée.
On sent bien qu’à part égale, les trois artistes que vous êtes, contribuez à cet album mais comment se fait le choix des chansons ou des thèmes ?
le choix des chansons s’est fait très simplement parce que d’abord il est difficile de faire des chansons qui collent à chacun. Pour les textes, c’est un peu un travail de parolier plus que d’auteur et pour la musique, il s’agissait de rester dans un registre qui englobe notre triple culture : la chanson française, le folk celtique et la tradition bretonne dans son sens large. Mais dans le même temps, nous accordons autant d'importance au texte qu'à la musique. Chacun apporte donc ses propositions qui émeuvent ou pas les deux autres (rire, tristesse, choc...). Mais nous sommes avant tout des gens de scène, des solistes, et nous savons évaluer l'impact d'un texte ou d'une mélodie face à un public. Nous tenons donc compte de tous ces éléments qui entrent ensuite dans le cocktail du choix .
A nous trois ont fait la paire. Mais de là a dire qu’on est des pointures ...!
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